jeudi 10 novembre 2011

De la France à la Nouvelle-France... (troisième partie)

La Rochelle en 1664 - une mission dans de lointaines contrées

Le Marquis de Tracy
C’est donc le 26 février 1664 que le Brézé quitte La Rochelle sous un ordre de mission du roi Louis XIV, mission confiée à Monsieur Alexandre de Prouville,  Marquis de Tracy. Le roi « luy fit expedier vne Commission, des plus amples et des plus honorables  qu’on ait encore veû (vue), luy donna quatre Compagnies d’Infanterie (dont celle du Sieur de Berthier) voulut que ses gardes portassent les mesmes couleurs que ceux de sa Majesté; luy fit equiper les navires, nommez le Brésé et le Teron… avec plusieurs autres vaisseaux, chargez de vivres et munitions de guerre,… et de tout ce qui estoit necessaire pour vne expedition de cette importance ».  Au départ de La Rochelle, le Brézé « estant (était) suivi, outre les troupes, de quantité de Noblesse, et de vaisseaux bien equipez. » (Relation des Jésuites, 1664).

Quelques flûtes à l'ancre
Outre le Brézé, l’escadre comprend les vaisseaux suivants : le Teron, l’Aigle d’Or, le Saint Sébastien, le Sainte-Anne, les flûtes Justice, La Paix et le Jardin de Hollande. (Une flûte est un trois mâts à voiles carrées optimisé pour le transport de marchandise). À bord de ces vaisseaux, se trouvent environ 650 personnes,  parmi eux les « 150 officiers et soldats » composant les quatre compagnies, dont celle à laquelle appartient Siméon, « 50 valets, 150 artisans de tous métiers, et le reste travailleurs à la terre et gens de toutes manières » (Jal, Auguste, 1873).

On a donc affaire d’abord à une expédition militaire d’envergure et bien pourvue, naviguant sous le pavillon du roi de France et sous les ordres du Marquis de Tracy, « lieutenant général dans toute l’étendue des terres de notre obéissance situées en l’Amérique Méridionale et Septentrionale, de terre ferme, et des isles, rivières [etc.] » (Dictionnaire biographique du Canada). Il est également évident que l’un des objectifs poursuivis était de renforcer la présence française dans ses possessions des Antilles.

Le Brézé était sous le commandement de Job Forant, un huguenot originaire de l’île de Ré tout près de La Rochelle.


Après le départ de La Rochelle, l’expédition fera un arrêt à l’île Madère, le 20 mars, puis au Cap Vert pour y faire provision d’eau et de nourriture fraîche avant de se lancer dans la traversée de l’Atlantique. En effet, on mentionne aussi dans les Relations des Jésuites de l’année 1664 que le Marquis de Tracy « fut complimenté par les Portuguais de Madere et du Cap Verd, avec tout l’honneur qui estoit deû à sa qualité et à son mérite ». La réaction des Portugais traduit très bien la perception qu’ils ont de l’importance autant de la mission que du personnage et du fait qu’il est le représentant du roi Louis XIV.

La traversée de l’Atlantique se fit rapidement car c’est le 16 mai que les troupes françaises enlèvent Cayenne aux Hollandais. Joseph-Antoine Le Febvre de la Barre, aussi à bord du Brézé y occupa alors le poste de gouverneur et de lieutenant général de la Guyane. Il y dressa notamment les plans des fortifications de Cayenne. En 1682, il deviendra gouverneur général de la Nouvelle-France.



Par la suite, le Marquis de Tracy s’occupe de renforcer la présence française dans les Antilles. Pour se faire, il installe des gouverneurs dans les îles importantes : la Martinique (le 2 juin 1664), la Tortue, la Guadeloupe, La Grenade et l’île Marie-Galante.

Le 25 avril 1665, après un arrêt à Saint Domingue (dans la République Dominicaine d’aujourd’hui), la flotte quitte la Guadeloupe, passe par le détroit des Caïques (les îles Turquoises), longe le détroit des Bahamas de même que les côtes de la Floride, côtoie la Virginie pour finalement entrer dans le golfe du Saint-Laurent et mouiller à l’île Percée un mois plus tard, tel que le souligne les Relations des Jésuites. On en profite pour y refaire les provisions et se diriger vers Tadoussac.

Québec, un port fort achalandé…

En effet, dès le 18 juin 1665, on voit apparaître au port de Québec un premier vaisseau, le Cat, avec à son bord une soixantaine d’engagés qui viennent s’établir en Nouvelle-France.

Le port de Québec
Le lendemain, c’est le Vieux Siméon, parti de La Rochelle le 19 avril, qui accoste au port. Il amène en Nouvelle-France les quatre premières compagnies du régiment Carignan-Salières, venues combattre les Iroquois, à savoir les compagnies Chambly, Froment, La Tour et Petit (Langlois, 2004).

Quant au Brézé, il est possible que le capitaine n’ait pas voulu prendre le risque de remonter le Saint-Laurent avec cet immense vaisseau. Passagers, armes et bagages ont été transbordés à bord du Vieux Siméon et du Cat, venus expressément de Québec.

Le soldat Siméon a donc finalement débarqué à Québec, le 30 juin 1665, avec ses camarades de la compagnie du Sieur Berthier et des trois autres compagnies qui voyageaient à bord du Brézé : La Durantaye, Monteil et Labrisardière, toutes les quatre sous le commandement du Marquis de Tracy.

L’accueil de la troupe à Québec…

Au débarquement au port de Québec, le Marquis de Tracy est « si faible & si abbattu de la fievre, qu’il ne pouvait estre soustenu que par son courage » (Relations des Jésuites, 1664).

Québec est en liesse ; la ville a préparé une magnifique réception, mais, malade, le lieutenant général n’est pas en mesure de participer à toutes les fêtes. « Précédé de ses 24 gardes, vêtus aux couleurs de Sa Majesté, et de 4 pages, accompagné de son aide de camp, suivi de 6 laquais et de plusieurs officiers en habits somptueux, le représentant du roi se rend du port à l’église au milieu des acclamations de la foule. Les cloches battent à toute volée. Mgr de Laval reçoit le sauveur de la colonie à l’entrée de la nef, escorté de son clergé ; il lui offre l’eau bénite et le conduit à son prie-Dieu, mais le général préfère s’agenouiller sur le parquet comme tout le monde. La cérémonie se termine par le Te Deum » (Dictionnaire biographique du Canada).

L’ex-voto du Marquis de Tracy…

L'ex-voto de N-D-desVictoires
On retrouve dans la nef de l’église Notre-Dame-des-Victoires une réplique du Brézé. D’abord offert à la cathédrale Notre-Dame de Québec par le Marquis de Tracy cet ex-voto y est resté jusqu’au bombardement de 1759. Retrouvé au Séminaire de Québec, il a été restauré en 1954 et est suspendu à la voûte de l’église Notre-Dame-des-Victoires depuis 1955. Je doute qu’il s’agisse d’une réplique du Brézé. En effet, toutes les sources consultées mentionnent que le Brézé était armé de 60 canons alors que l’on ne compte que 16 sabords d’un côté de l’ex-voto pour un total de 32 canons. D’autre part, comme le disait mon professeur d’histoire, les historiens ont l’habitude de se citer les uns et les autres, perpétuant ainsi les erreurs. Ainsi, l’affiche à l’entrée de la chapelle Notre-Dame-des-Victoires mentionne que le Brézé a transporté les troupes du régiment Carignan-Salières, plutôt que les quatre compagnies mentionnées précédemment. Il en est ainsi, entre autres, de la Société Historique de Québec sur son site Facebook.

Du 18 août au 14 septembre, ce sont les seize autres compagnies du régiment Carignan-Salières qui débarqueront à Québec (Langlois, 2004).

On compte donc alors un total de 24 compagnies, soit, les quatre compagnies du Marquis de Tracy, arrivées à bord du Brézé et les 20 compagnies faisant partie du régiment Carignan-Salières.

En conclusion…

En 16 mois, Siméon, l’un des soldats de la compagnie du Sieur Berthier, a parcouru plusieurs milliers de kilomètres avant d’arriver en Nouvelle-France. Parti de La Rochelle le 26 février 1664 à bord du Brézé, Siméon voyage d’abord vers Madère, de là au Cap Vert, puis à Cayenne en Guyane française, à la  Martinique, à l’île de La Tortue au large de l’actuelle Haïti, à Saint Domingue, à la Guadeloupe, à la Grenade, et enfin à l’île Marie-Galante. Avant d’arriver à Québec en juin 1665, le Brézé passe par le détroit des Caïques (les îles Turquoises), longe le détroit des Bahamas de même que les côtes de la Floride, côtoie la Virginie avant d’entrer finalement dans l’estuaire du Saint-Laurent. Toute une odyssée!

Documents cités :

Dictionnaire Biographique du Canada en ligne.
Voir : http://www.biographi.ca/fr/index.html

Jal, Auguste, 1873. Abraham Du Quesne et la marine de son temps. Éditeur : Henri Plon, Paris. Pages 329 et sq. Disponible sur books.google.ca.

Langlois, Michel, 2004. Carignan-Salière 1665-1668. La Maison des Ancêtres inc., Drummondville.

Relation des Jésuites, 1664. Voir http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/numtxt/relations.htm

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